Prologue

 

 » Un fait dramatique doucement s’impose en nos vieilles démocraties : le politique n’y semble plus enclin à reconnaître la légitimité des sciences sociales dans la nécessaire compréhension des choses de la Cité. Nous devrions pourtant nous souvenir que les périodes sombres de l’Histoire ont d’abord été obscurcies par le rabougrissement de la pensée et par la répression des érudits dont les incessants questionnements des faits politiques et sociaux devenaient des obstacles à une nouvelle vulgate. Il semble bien que notre époque est pleinement entrée dans un processus de décrédibilisation des savoirs sociologiques, historiographiques ou anthropologiques. Dans ce processus qui n’en est qu’à sa première étape, celle du simple dénigrement des idées complexes, le confort des schémas simplistes ou carrément manichéens d’explication, l’emporte sur la volonté de comprendre les transformations d’un monde en crise. Affirmons que l’explication des choses ne les excuse en rien. Elle permet juste de les comprendre. Cependant, cela est essentiel.

Le monde n’est pas si complexe dès lors que l’on ne s’embarrasse pas d’explications compliquées par la curiosité des empêcheurs de communiquer en rond. Tout ne semble plus n’être en effet qu’affaire de communication. Le savoir scientifique pluridisciplinaire et l’information véritable existent toujours mais ne sont pas ou plus relayées par la classe politique qui leur préfère le confort apparent de la pensée unique dictée par l’omniprésence du Marché capitaliste. Les sociologues non connivents, les économistes critiques, les démographes scrupuleux, les urbanistes indépendants poursuivent leurs travaux, font des communications dans des revues de renom, publient des livres pertinents mais semblent cantonnés sous un plafond de verre au-dessus duquel sont bien installés ceux qui tiennent fermement les rênes du pouvoir. Les connaissances sont certes disponibles pour quiconque veut comprendre le monde dans lequel il vit, mais sont peu mobilisées pour tenter d’améliorer ce monde.

De fait, il s’agit de plaquer partout les mêmes principes d’intervention publique, s’inscrivant dans les politiques économiques « néolibérales », sur des réalités socio-culturelles, historiques ou institutionnelles fort différentes d’un pays à l’autre ou d’un continent à l’autre. L’idée est que l’économie, dont on oublie qu’elle est d’abord portée et forgée par des sociétés diversifiées, peut être malaxée partout de la même façon pour en tirer la substance « optimale » comme disent les doctes experts. Les « programmes structurels d’ajustement » imposés aux « pays en développement » par le FMI et la Banque Mondiale, montrent partout la volonté de sacrifier les aspirations des peuples sur l’autel d’une prétendue efficience économique salvatrice. Il s’agit bien de sauver quelque chose du monde en crise : les beaux meubles des archi-possédants. Pour que cela fonctionne l’on concèdera aux complices plus ou moins consentants du mortifère système les miettes de la copieuse ripaille. Et l’on tiendra « l’opinion publique » à bonne distance de l’honnête connaissance des choses en l’abreuvant de messages lapidaires et habilement mensongers, en lui offrant des procédures de pseudo consultation alors que la décision est déjà inscrite dans le marbre des certitudes du pouvoir en place .

Les plus déshérités de nos concitoyens, victimes de ce système de production accélérée d’inégalités et d’injustices, sont les proies les plus faciles du non-savoir. Ils ont été désarmés de leur éventuel esprit critique par la prolifération – à bon marché – de tous les outils distrayants de la communication globosphérique. Pis, on leur a appris à mépriser le savoir et ceux qui le dispensent en même temps que le désespoir leur était insidieusement inculqué. Rompre avec cette servitude volontaire moderne sera la seule manière possible de changer le monde. »

Voici ce à quoi l’université populaire ouverte du pays viennois, souhaite humblement participer.

texte Yann Fievet